Enquête harcèlement sexuel au travail
Obligations légales et responsabilité de l'employeur
Cadre juridique du harcèlement sexuel et moral
En matière de droit du travail, l’employeur est soumis à une obligation de sécurité de résultat. Cette responsabilité de l’employeur s’étend à tous les faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral au travail qui se déroulent dans l’entreprise.
Le code du travail et le code pénal définissent précisément ces infractions. L’article 222-33 du code pénal vise spécifiquement les agissements sexistes et les comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à la dignité de la personne.
Bon à savoir : Depuis janvier 2022, la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué. Le doute profite désormais au salarié victime, renforçant vos obligations en matière d’enquête.
Obligation de prévention et mesures préventives
Votre obligation de prévention implique :
- Formation sur le harcèlement du personnel d’encadrement
- Sensibilisation des employés aux comportements inappropriés
- Mise en place d’une procédure de signalement de harcèlement
- Désignation d’un référent harcèlement sexuel
Définition du harcèlement selon le défenseur des droits
Le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail. Le harcèlement sexuel vise tout comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui crée à l’encontre d’une personne une situation intimidante, hostile ou offensante.
Ces définitions s’appliquent quel que soit le contexte : relations entre collègues, avec un supérieur hiérarchique, ou même avec des personnes externes à l’entreprise présentes sur le lieu de travail.
Signalement et déclenchement de l'enquête interne
Droit de signalement et protection des témoins
Tout salarié dispose d’un droit de signalement qu’il faut respecter. La personne qui signale une situation de harcèlement bénéficie d’une protection juridique, même si les faits s’avèrent non établis par la suite.
Attention : Sanctionner un salarié pour avoir signalé de bonne foi des faits de harcèlement constitue un manquement grave à vos obligations.
Quand diligenter une enquête ?
L’enquête pour harcèlement doit être déclenchée dès réception d’un signalement, qu’il émane :
- De la victime présumée
- D’un témoin
- Du CSE ou d’un représentant du personnel
- Du médecin du travail
- De l’inspection du travail
Délai et urgence d'action
Aucun délai légal n’est fixé, mais la jurisprudence impose une réaction rapide. Chaque jour de retard peut être interprété comme un défaut de diligence de votre part.
Méthodologie pour mener une enquête efficace
Choix de l'enquêteur et garanties d'objectivité
La personne chargée de mener une enquête doit présenter toutes les garanties d’indépendance. Elle ne peut avoir de lien hiérarchique direct avec les parties concernées ni d’intérêt personnel dans l’affaire.
Astuce : Pour les cas de harcèlement sexuel impliquant une femme, privilégiez un binôme mixte lors des auditions.
Principe du contradictoire et procédure équitable
Chaque partie doit pouvoir s’exprimer librement. Le principe du contradictoire impose que la personne mise en cause soit informée des griefs et puisse présenter ses observations.
Déroulement des auditions
L’enquête interne suit généralement cette progression :
- Audition de la victime de harcèlement sexuel : Recueil détaillé des faits allégués
- Audition de l’auteur des faits présumé : Confrontation aux accusations
- Auditions des témoins : Vérification et recoupements
- Analyse documentaire : Emails, planning, témoignages écrits
Éléments de fait à rechercher et preuves de harcèlement
Votre enquête doit établir la réalité des faits. Pour le harcèlement sexuel, recherchez :
- Les comportements de nature sexuelle
- Le caractère dégradant ou humiliant des actes
- L’atteinte à la dignité de la victime
- La création d’un environnement hostile
Pour le harcèlement moral, analysez :
- La répétition des agissements
- L’intention de nuire ou l’effet produit
- L’impact sur la santé physique et mentale du salarié
Remarque : Les témoignages constituent souvent les preuves principales. Recueillez-les avec précision en notant les circonstances exactes.
Évolution jurisprudentielle : quand le doute profite au salarié
Arrêt de la cour de cassation de janvier 2022
Un revirement jurisprudentiel majeur s’est opéré. Auparavant, une enquête non concluante pouvait justifier un licenciement. Désormais, l’absence de preuve ne peut plus être retenue à l’encontre du salarié.
Cette évolution de la jurisprudence Cass. Soc. modifie fondamentalement l’appréciation des enquêtes internes par les juges du fond.
Conséquences pratiques pour l'employeur
Cette nouvelle donne implique une exigence renforcée :
- Enquêtes plus approfondies
- Recherche active de tous les éléments de preuve
- Motivation renforcée des décisions
- Prudence accrue dans les sanctions
Impact sur les décisions de licenciement
Un licenciement prononcé après une enquête interne non probante risque d’être requalifié. Les juges apprécient désormais de manière plus stricte la valeur probante de vos investigations.
Rédaction du compte-rendu d'enquête
Structure et contenu du rapport
Votre compte-rendu d’enquête doit suivre une architecture rigoureuse :
- Contexte et saisine
- Origine du signalement
- Faits allégués
- Personnes concernées
- Méthodologie employée
- Personnes auditionnées
- Documents consultés
- Délais respectés
- Éléments de fait recueillis
- Synthèse des déclarations
- Points de convergence et divergences
- Preuves matérielles
- Analyse juridique
- Qualification des faits au regard du code du travail
- Appréciation des témoignages
- Conclusion motivée
Objectivité et neutralité dans la rédaction
Le rapport doit relater fidèlement les déclarations sans parti pris. Distinguez clairement :
- Les faits établis (indicatif)
- Les allégations non vérifiées (conditionnel)
- Vos recommandations (conditionnel de politesse)
Astuce : Évitez tout jugement de valeur sur les personnes. Concentrez-vous sur les faits et leur qualification juridique.
Recommandations et suite à donner
Votre rapport doit conclure par des recommandations claires :
- Mesures disciplinaires si les faits sont établis
- Actions de prévention dans tous les cas
- Suivi des personnes concernées
Sanctions et mesures disciplinaires
Sanctions en cas de harcèlement avéré
Lorsque l’enquête établit la réalité du harcèlement, vous devez sanctionner le harcèlement de manière proportionnée à la gravité des faits :
- Harcèlement sexuel : Faute grave justifiant un licenciement immédiat
- Harcèlement moral : Sanction graduée selon l’intensité
- Agissements sexistes : Sanctions pouvant aller jusqu’à la faute lourde
Sanctions pénales complémentaires
N’oubliez pas que le harcèlement constitue également un délit. L’article 222-33 du code pénal prévoit :
- Peine de prison jusqu’à 2 ans
- Amende pour harcèlement jusqu’à 30 000 euros
- Circonstances aggravantes selon le contexte
Situation où les faits ne sont pas établis
L’absence de sanction disciplinaire ne signifie pas inaction. Mettez en œuvre :
- Rappel des règles de comportement professionnel
- Formation ciblée sur la lutte contre le harcèlement
- Réorganisation des équipes si nécessaire
- Suivi médical de la victime présumée
Cette approche démontre votre engagement dans la prévention et protège l’entreprise contre d’éventuelles récidives.
Rôle des acteurs externes
Médecin du travail et évaluation de l'impact
Le médecin du travail joue un rôle clé dans l’évaluation de l’impact du harcèlement sur la santé physique et mentale du salarié. Son avis médical peut orienter vos décisions et mesures d’accompagnement.
Inspection du travail et contrôle
L’inspection du travail peut être saisie directement par le salarié. Elle dispose d’un pouvoir d’enquête et peut constater les manquements à vos obligations de prévention.
CSE et droit d'alerte
Le CSE dispose d’un droit d’alerte en cas de risque grave. Ses membres peuvent signaler des situations de harcèlement et demander une enquête.
Prévention et mesures à long terme
Mise en place d'une politique de prévention
Au-delà de la gestion des cas individuels, développez une approche globale :
- Charte de comportement professionnel
- Procédures de signalement claires
- Formation régulière des managers
- Sensibilisation de tous les employés
Suivi et évaluation des mesures
Évaluez régulièrement l’efficacité de votre politique :
- Baromètre social incluant ces questions
- Analyse des signalements et de leur traitement
- Retour d’expérience sur les enquêtes menées
- Adaptation des mesures selon les résultats
Recommandation : Capitalisez sur chaque enquête pour améliorer votre système de prévention et renforcer la protection de vos salariés.
Cette démarche proactive vous permet non seulement de respecter vos obligations légales, mais aussi de créer un environnement de travail respectueux pour tous vos collaborateurs.